On naît tous pour mourir un jour, c’est un fait indéniable. La peur de la mort est un fait qui hante chaque être humain, jusqu’au moment fatidique où cet instant arrive. Chaque personne a déjà imaginé la meilleure mort qu’il souhaiterait, la moins douloureuse, la plus rapide, mais lorsque l’on a 24 ans, on pense encore très peu à cet instant, on n’imagine pas qu’en traversant un trottoir, on rencontrerait la mort aussi rapidement qu’en disant « ouf ». Et pourtant, cela arrive tous les jours, les accidents, les meurtres, les morts…

Dans la famille Beauregard, la mort n’avait encore jamais touché personne, une famille plutôt nombreuse d’ailleurs. L’arbre généalogique serait un peu long à faire, mais ce qui est certain, c’est que la famille a toujours été le mot d’ordre, et les morts sont toujours très mal vécus, comme dans toutes les familles d’ailleurs. Sacha avait toujours été entouré d’amour, que ce soit avec ses parents, un couple heureux et harmonieux, ayant fondé une famille parfaite à leurs yeux. De leur union est d’abord né un petit garçon, répondant au nom de Jules, puis Sacha, de cinq années sa cadette. Les deux enfants n’ont jamais eu de problèmes entre eux, toujours en train de s’amuser, parfois de s’embêter comme le font deux enfants, mais jamais ils ne se seraient fait du mal consciemment. En grandissant, ils se sont rapprochés, Jules est devenu de plus en plus protecteur mais aussi de plus en plus distant vis-à-vis de ses parents, notamment vers l’âge de 17 ans. Sacha n’a jamais compris pourquoi il a commencé à agir ainsi, mais ce qui est certain, c’est qu’elle ne l’aurait jamais laissé s’éloigner d’elle quoi qu’il arrive, jusqu’à ce que Jules se suicide, à l’âge de 25 ans, alors que Sacha en avait 20. Ce fut une perte immense pour la jeune femme, même si ses larmes ne coulèrent pas. Elle avait depuis longtemps appris à rester humble devant ce genre de situation, son frère lui ayant appris à toujours rester positive, même dans les situations les plus sombres et désastreuses, à rester souriante, à communiquer sa joie de vivre et c’est ce qu’elle se jura de faire jusqu’à sa mort, en souvenir de son frère bien-aimé.

On ne peut pas dire que l’enfance de Sacha ait été très différente de celle des autres, des amis, des études, une vie de famille calme. Sacha a toujours été une enfant joyeuse, très bonne élève, à l’écoute des autres, elle a toujours aimé aider les autres, ce qui amenait parfois quelques problèmes à ses parents, notamment lorsqu’elle ramenait des sans domicile à la maison afin de leur donner un repas chaud et un endroit où dormir. Ses parents, tous les deux passionnés par la lecture et l’écriture, arrivaient difficilement à gérer ses situations pour le moins embarrassantes, ils connaissaient les problèmes de leur pays mais ne pouvaient pas y faire grand-chose. Alors, ils leur donnaient un repas et une nuit avant de les faire partir poliment, car après tout, ils ne pouvaient rien faire de plus et cela suffisait au bonheur de la petite fille. Brillante, elle n’avait jamais redoublé une seule classe, sa voie fut toute trouvée dès son arrivée au lycée, elle voulait enseigner à son tour, pas seulement les matières que l’on apprend dans n’importe quel établissement, mais également les choses importantes de la vie, la bonté, l’honnêteté, les vertus nécessaires à une vie heureuse et bien remplie, comme l’a toujours été la sienne.

Pas une seule ombre au tableau comme l’on peut le voir, tout ce qu’il faut pour être heureuse, ses passions pour la lecture et l’écriture, sa joie de vivre quotidienne, son amour pour l’être humain et toutes les espèces vivantes, Sacha n’a jamais eu l’apparence d’une méchante et il est assez difficile de lui dénombrer des défauts. Néanmoins, aucun être humain n’est parfait, en tant que femme tout ce qu’il y a de plus normale, Sacha a souvent du mal à traiter de sujets qui sont pour elle assez gênants, comme son attirance pour les hommes ou encore tout ce qui touchent aux plaisirs sexuels. C’est une femme prude si l’on peut dire et très timide lorsqu’il s’agit d’aborder les hommes pour autre chose que les banalités quotidiennes. De plus, elle ressent une certaine culpabilité lorsqu’elle verse des larmes sans pouvoir les refouler, sûrement à cause de tout ce que lui a dit son frère, et de sa promesse de ne jamais le décevoir.

Une femme, sans problèmes, sans grands défauts, prête à tout pour les membres de sa famille et de son entourage, qui ne méritait en aucun cas une mort si rapide et si affreuse. C’est pourtant ce qui arriva, deux jours exactement avant qu’elle ne fête son quart de siècle, un accident qui rendit de nombreuses personnes malheureuses, mais pour ce qui est de la concernée, elle ne ressentit rien, elle n’eut pas le temps de souffrir, ce qui fut un petit soulagement dans la misère de ses parents qui survivaient à présent à leur deuxième enfant.

Lors de son arrivée dans les Enfers, Sacha fut surprise, certes, elle n’aurait jamais pensé se retrouver dans un tel endroit. Elle n’avait jamais réellement réfléchi à ce qu’il y avait après la mort, une autre vie ? La résurrection ? Le Paradis ? Son amour pour la lecture l’avait amenée à avoir plusieurs avis différents, mais jamais elle n’avait forgé le sien jusqu’à ce qu’elle l’ait en face. Les Enfers… Elle pensa alors qu’il y avait certainement un Paradis et se demanda pourquoi elle n’avait pas plutôt été admise là-bas, avant de se souvenir des cours de grec ancien qu’elle avait eu à l’université, où l’Enfer regroupait tout le monde, les bonnes personnes comme les mauvaises. Alors, c’était finalement ça, ce qu’il y avait après la mort, une nouvelle vie, entourée par toutes les personnes qui avaient foulé la Terre avant elle, ses ancêtres… Même si la perspective de la mort ne la ravivait pas, elle était heureuse de pouvoir se confronter à l’histoire de tant de personnes et dès l’instant où elle traversa l’entrée de ce nouveau monde, elle se promit de rester telle qu’elle l’était auparavant, bienveillante et heureuse, car même lorsque l’on se trouve au fond du gouffre, il suffit d’un sourire pour rallumer la flamme de l’espoir.

L'installation aux Enfers se fit rapidement, il apparaissait très clairement que les Champs Élysées étaient faits pour elle. Elle reprit rapidement son petit quotidien, aidant les personnes qui pouvaient l'être, apportant sa joie à tous les gens qui croisaient son chemin. Mais une personne retînt particulièrement son attention, un inconnu, un homme qui pouvait sembler être comme tous les autres mais qui ne l'était pas. La première fois qu'elle l'avait vu, il était assis dans l'herbe, en train de lire un livre qu'elle avait elle-même lu de nombreuses fois. Il paraissait être là depuis longtemps et même si son envie d'aller à sa rencontre était assez forte, elle ne trouva pas le courage, par timidité ou par peur, elle n'aurait su le dire mais ce qui était certain, c'est qu'elle ne le pouvait pas. Malgré cette profonde envie de le découvrir, de le connaître, de partager des choses avec cet inconnu, elle n'alla jamais à sa rencontre, et lui non plus d'ailleurs. Des questions, qu'elle ne s'était jamais posée avant ce moment, commencèrent à s'emparer de son esprit, des questions sur l'amour, sur l'amitié, sur des sentiments similaires, sur ce qu'était une vie à deux... Elle n'y avait jamais pensé jusque là, mais cet inconnu l'y incitait, la poussait à imaginer, à rêver et même, à espérer. Désormais, leurs petites « entrevues » lui suffisent à être heureuse, elle attend le moment, l'instant où son courage sera assez grand pour n'oser même que le saluer, simplement.